Les jeunes et le numérique - Paradoxe entre habitudes et compétences
Les jeunes sont ultra connectés. Pour autant, sont-ils à l'aise avec les outils numériques essentiels au monde professionnel ?

Aujourd’hui, les jeunes passent plus de 6 heures par jour en ligne. Ultra-connectés, ils maîtrisent les nouvelles technologies avec une aisance impressionnante.
Pourtant, beaucoup ont réalisé qu’un certain nombre de jeunes ne savaient pas réaliser des tâches simples du monde professionnel comme partager un document ou envoyer une pièce jointe.
→ Comment expliquer cette contradiction entre une génération à l’aise avec le digital et une exécution parfois laborieuse ?
Une génération connectée comme jamais
- Par semaine, sur internet :
- Les moins de 6 ans y passent 6 heures.
- Les 7-12 ans y sont 9 heures.
- Les 13-18 ans : 18 heures.
→ Et pourtant, peu savent envoyer un mail avec une pièce jointe.
Et pourtant, peu savent envoyer un mail avec une pièce jointe.
- Les 13-19 ans possèdent en moyenne 2,9 écrans personnels, contre 1,6 pour les 7-12 ans.
- 35% des 7-12 ans ont un smartphone.
- 69% des 13 ans ou plus ont un ordinateur personnel.
Surtout, l’INSEE indique que 2% des 15-24 ans sont encore en situation d’illectronisme, soit le fait de ne pas maîtriser les usages du numérique.
→ Bien que ce chiffre soit bien en deçà de la moyenne nationale de 15% et qu’il tende à diminuer, il est révélateur d’une inégalité réelle face au numérique.
Exemple d’une règle
Serge Tisseron, psychiatre, nous parle de la règle du 3-6-9-12 :
- À 3 ans, âge de l’entrée en maternelle : premier accès à la télévision.
- À 6 ans, âge de l’entrée en primaire : première console personnelle.
- À 9 ans, âge d’une bonne maîtrise de l’orthographe et de la lecture : premier téléphone.
- À 12 ans, entrée au collège : premier accès à internet.
Quel écran ?
Nous nous y attendions : chez la majorité des jeunes (90%), le smartphone est le seul écran disponible.
Résultat : pas d’apprentissage du clavier ou de l’ordinateur.
Chez les jeunes issus de milieux défavorisés, c’est parfois le seul écran accessible, ce qui laisse peu de place à l’apprentissage de l’outil informatique.
Selon la chercheuse Anne Cordier, seuls 2 à 3 jeunes sur 35 savent réellement se servir d’un ordinateur. Un chiffre alarmant, alors que 96 % des 12-17 ans possèdent un smartphone.
Des usages très éloignés du monde professionnel.
Les écrans sont omniprésents, mais leur usage principal est centré sur les réseaux sociaux qui ont un côté “pratique” puisqu’ils concentrent l’information, les messageries, et les vidéos.
75 % des moins de 13 ans seraient inscrits sur ces plateformes, et ce malgré l’interdiction légale.
→ Ce chiffre est énorme et doit interroger sur les pratiques du numérique.
Être connecté est une chose, mais il ne faut pas entrer dans une spirale négative où le jeune deviendrait addict.
En bref : les codes numériques des jeunes s’invitent dans le monde professionnel, et on observe bien souvent des mails mal structurés, des abréviations, des difficultés avec la suite Office qu’ils devraient maîtriser, et un ton familier.
Cela s’observe dès l’école et les enseignants se disent de plus en plus inquiets.
Des outils trop complexes pour des usages trop simples ?
Il existe incontestablement une différence majeure entre l’UI/UX des applications digitales telles que les réseaux sociaux, et ceux des applications spécialisées pour le monde professionnel.
Le problème réside ici : les applications les plus en vogue (réseaux sociaux, vidéos et musique) sont pensées pour être simples d’utilisation et intuitives… ce qui n’est absolument pas le cas des applications spécialisées qui sont pensées pour un usage tout autre.
Solutions possibles
Il est envisageable de simplifier les applications professionnelles, de les uniformiser avec les applications les plus “tendances” pour que ceux qui les utilisent pour la première fois ne se retrouvent pas désemparés.
Sinon, il faudrait mettre en place des formations.
À présent, les applications professionnelles sont complexes quand les réseaux sociaux sont très simples d’usage; allions la simplicité et la puissance !
En quoi est-ce problématique ?
Ce décalage entre l’utilisation très forte du numérique et les compétences attendues en entreprise soulève différents enjeux pour les jeunes comme pour les entreprises.
Pour les jeunes
Ce manque de compétences entraîne une perte de confiance et une difficulté à s’intégrer.
Pour les entreprises
Le turnover étant de plus en plus important, les jeunes ont toute leur place dans une entreprise. Pourtant, si les recruteurs se rendent rapidement compte qu’ils n’ont pas les compétences numériques attendues, le temps d’onboarding sera allongé, l’engagement fragilisé.
→ L’entreprise peut alors montrer des signes d’agacement qui se répercuteront sur l’ambiance générale.
Et nous, maîtrise-t-on vraiment les outils que l’on utilise ?
Quelques leviers pour pallier à ces difficultés.
Les jeunes ont donc du mal à réaliser certaines tâches “basiques” du monde professionnel, ce qui risque fortement de les pénaliser dans leur vie future. Mais est-ce une fatalité et y a-t-il un moyen d’éviter que les futurs utilisateurs connaissent les mêmes difficultés ?
Le cadre familial
Pour pallier à ces manquements professionnels, la première solution peut être une socialisation à l’échelle familiale.
Les parents sont souvent désemparés - 4 sur 5 se disent inquiets quant à l’utilisation excessive des écrans de leurs enfants - puisqu’ils n’ont pas connu le numérique de la même façon et ne savent donc pas toujours comment s’y prendre.
Néanmoins, même les parents informaticiens n’ont que rarement le réflexe de partager ce domaine de compétences à leurs jeunes.
En bref : Les parents ont évidemment un rôle à jouer quant aux difficultés qu’ont leurs enfants vis-à-vis de tâches pourtant “basiques”. Néanmoins, eux-mêmes ne savent pas forcément comment s’y prendre et la vraie solution se trouve probablement hors du cadre familial.
Un enjeu éducatif majeur
Puisque les parents n’ont pas tous appris à se servir des outils informatiques, et pour que tous reçoivent le même apprentissage, l’autre solution serait que l’école dispense des cours pour enseigner aux jeunes les bonnes pratiques du numérique.
La ministre de l’éducation actuelle, Elisabeth Borne, a récemment annoncé une formation à l’IA pour les élèves en classes de 4ème et de seconde. Des cours sur l’IA, donc, certes fondamentaux, mais quid de leçons sur comment rédiger correctement un mail ou de quelle façon joindre un fichier ?
Pour ne rien arranger, on constate de gros problèmes d’équipements numériques, jusque dans les lycées privés qui n’arrivent pas à répondre aux besoins.
→ La problématique pour les années à venir tourne autour de l’importance de rapidement apprendre à utiliser l’outil informatique, sinon, la jeune génération rencontrera énormément de difficultés dans le milieu professionnel.
Et du côté professionnel ?
L’entreprise aussi a un rôle à jouer. Elle peut inclure un temps d’apprentissage des outils dès l’onboarding, instaurer une culture de libération de la parole où les jeunes oseraient poser des questions, et proposer des micro-formations ciblées.
→ Il ne s’agit pas uniquement d’accompagnement, mais bien de développer une culture numérique durable qui profitera à tous.
C’est avec un ensemble cohérent que les jeunes deviendront des incollables du monde professionnel !
En bref : Certains jeunes ont encore de grosses lacunes avec des usages du numérique, essentiels au monde professionnel, et ce malgré le temps très important passé sur les écrans.
Le smartphone seul ne suffit donc pas à se préparer au monde du travail. Il est nécessaire d’effectuer un véritable effort sur une éducation numérique professionnelle qui peut être amenée par différents acteurs.
Les jeunes sont connectés, mais pas préparés à travailler avec les outils numériques.
Pourtant, se pose une question d’éthique : doit-on laisser un logiciel accomplir une tâche à notre place ? Le métaverse dont certains génies de la tech (comme Zuckerberg) en ont fait leur priorité va t-il créer un nouveau monde ? Quels impacts pour la société et l’individu ?
Tant de questions qui vont animer ces prochaines décennies et qui pourraient radicalement bouleverser nos vies.